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Les Vieux de la Vielle

Jean Ferrat

Les Vieux, ça n'était pas original


Et bien, c’est une constatation douloureuse ou amusante, c’est selon, mais il n’y a plus de vieux ! Ou alors, de moins en moins. C’est nouveau, c’est un phénomène de société étonnant, bien orchestré par l’ensemble des médias. Il faut s’y faire !

A notre époque, le quidam lambda abandonne un statut d’actif, souvent poussé, amicalement ou traîtreusement, dans le dos par la DRH de nos chères entreprises, pour passer illico à un statut d’inactif. À ceci près, que, sous la pression à la fois populaire et gouvernementale qui veut que les actifs travaillent, les sus nommés sont passés seniors pour être éventuellement réembauchés.

Ensuite, l’avenir du senior, c’est la catégorie « Personnes Âgées » dont certaines, les plus coriaces, les plus combatives, les moins cacochymes, atteindront le stade ultime et honorifique de centenaire.

Donc, conclusion provisoire, il n’y a plus que des jeunes, plus ou moins jeunes ou plus ou moins âgés, surtout quand nos médias nous mettent sous le nez les nouveaux top models qui appartiennent au troisième, voire au quatrième, âge. Voilà un créneau d’embauche, mais feraient-ils partie, ces nouveaux jeunes, du casting d’un remake des « Vieux de la vieille »1 ? Vingt diou !

L’émergence de ces gravures de mode d’un autre âge témoigne moins d’un noble respect pour la vieillesse, son admirable sagesse, son irremplaçable expérience et sa mirifique humanité que d’un réalisme économique. Consumérisme à fond les manettes ?

Moi qui, dans mon ascension au grade ultime, suis sur la marche de la vénérable catégorie seniors, j’aimerais que la considération, l’estime et la référence auxquelles le poids des années me fait accéder de plein droit s’adressent davantage à mon moi profond qu’à mon portefeuille. Baby-boomer par le hasard de mon année de naissance, je n’ai toujours été, à l’insu de mon plein gré, qu’un segment de marché et hélas, j’ai dû m’en accoutumer ! Cette catégorie regorge, d’après ses contempteurs, de mamies et papis en pleine bourre (à preuve, les parturientes d’âge plus que mûr, sont de plus en nombreuses !) et pleins aux as ! A l’exception des 600 000 personnes qui, selon l’INSEE, vivent avec les 7 367,91 €/an du minimum vieillesse.

Nous faisons donc, sans conteste, partie de ce que le cabinet Promostyl2 définit comme étant cette classe d’âge à fort pouvoir d’achat, exigeante mais curieuse, lucide mais imaginative, dynamique et hardie … c'est-à-dire jeune. Mais comme le dit Anne Pourillou-Journiac, « se reconnaître dans des vieux qufont plutôt jeunes restemoins agréable que de s’identifier à des jeunes qui font vieux ! »

Nous en sommes là, à nous croire jeunes, faisant du sport, allant au spa et à l’université du troisième âge, pensant que nous sommes toujours quelque part des employés du 4éme pétrolier mondial alors que le miroir de notre salle de bain nous renvoie une image de retraité délaissé quelque peu par la dite société !

Mais, gardons le moral, passons des baby-boomers aux happy-boomers ! Aussi, militons, militons, militons, les jeunes, les vrais, ont besoin de nous !

Pour le vocabulaire, vous avez bien compris, plus question de vieux : les vieux copains, les vieux briscards, les vieux beaux, mêmes les vieux cons (oh, sorry !), les vieux amants, les vieux démons, les vieux garçons et les vieil-les filles, tout cela c’est suranné. Par contre pour les choses et les idées, vieux est toujours usité : vous pouvez toujours parler de vieux tapis, de vieux gréements, de vieux rêves libertaires, confiture de vieux garçons, etc.
Bon, ceci n’est qu’un amusement, vous l’avez bien perçu. Toutefois, moi, j’aime bien ce vocable ‘vieux’ : n’est-il pas, la clé de l’éternité ? « Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps. »

Ho là, ho là, ho là, il faut que je me remonte le moral. Allez, go, je vais me déguster un petit potjevleisch arrosé (avec modération) d’une pale au patxaran.

« Les vieux, ça n’était pas original,
Quand ils s’essuyaient machinal
D’un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau
Et manger la tome de chèvre…»
Extrait de La Montagne de Jean Ferrat

Allez, actifs et seniors, restez éveillés et, au mois prochain …


1 Les vieux de la vieille avec Jean Gabin, Noël Noël et Pierre Fresnay
2 Bureau International de Style de Design et de Recherche de Tendances