Cadres !
« Quand la queue du serpent te sort de la bouche, ne dis pas que tu ne l’as pas mangé »
Probablement qu’un sage a dû dire cela ! Autrement dit, inutile de nier l’évidence.
C’est ainsi que, depuis des années, des accords présentés comme de haut niveau s’avèrent être de mauvais
accords ou contenir quelques noeuds de vipères. Même le dernier accord salaires n’y a pas échappé : les salariés
Elf EP se voient grugés par rapport à leurs collègues Total sur la part hiérarchisée de la prime, et la Direction
tarde à régulariser la situation des personnels à temps partiel et en dispense d’activité qui ont droit à l’intégralité du bonus exceptionnel.
Alors que voulez-vous, quand on voit le nombre de couleuvres que nous avalons tous, comment ne pas être
de temps à autre langue de vipère ?
Après avoir risqué en mars un édito sur les femmes où j’abordais aussi la condition de la femme cadre
chez Total, j’ose, ce mois-ci, un édito sur les cadres (mais qu’on ne s’y trompe pas, je pourrais tout aussi bien
dire OETAM car la situation des uns n’est guère différente de celle des autres).
Car, pauvre cadre, pris dans le tourbillon frénétique du changement constant dans l’entreprise ou pris dans
le grand manège des fusions – acquisitions et qui s’interroge : "Comment puis-je changer personnellement pour
mieux répondre aux besoins de l’entreprise alors que celle-ci ne me donne pas une once de repère?"
Pauvre cadre :
• qui doit maintenir sa productivité en sauvegardant son temps libre, s’adapter aux nouvelles
organisations matricielles, fonctionner en équipe en administrant la preuve de sa performance
personnelle.
• qui doit manifester son implication personnelle en intervenant sur tout sujet qui le concerne de près
ou de loin sans que les décideurs en tiennent compte,
• qui doit se résoudre à ce que les objectifs qu’il a loyalement défendus soient brutalement remis
en cause par des exigences de court terme, le tout face à un boss qui néglige les enjeux humains
de l’entreprise et qui, contrairement à lui, bénéficie d’un parachute en or ! (reclassement et actions
gratuites entre autres !)
Pauvre cadre, qui fait face à un nouveau deal car le monde est devenu plus complexe, plus pressé, de plus
en plus anxiogène …
Nous avons changé de paradigme et le cadre est passé de la question " que m’est-il permis de faire ?"
à l’interrogation " suis-je capable de le faire ?"
Hier, il devait exécuter une tâche précise, complexe ou sophistiquée ; en tant qu’expert, c’est ce qui faisait
sa légitimité, sa valeur dans l’entreprise ; aujourd’hui, il se voit confier une tâche au périmètre parfois flou
et qui, en outre, ne sollicite plus nécessairement son expertise. Ce questionnement de soi peut développer
un mal-être et mener jusqu’à la déprime !
Pauvre cadre qui ne sait que choisir entre la dynamique d’émancipation (" je choisis ma vie") et l’action
(" je choisis d’être reconnu par mon initiative personnelle").
Le cadre a changé de cadre mais les dirigeants de l’entreprise l’ont-il vraiment perçu ?
Pauvre cadre qui doit maintenant dire non :
• à la tyrannie des marchés, au retour sur investissements, à la pression qui contraint de rythmer
les cycles industriels sur les cycles financiers,
• et à l’actionnaire qui doit admettre que la seule création de valeur pérenne, vivante et créative, ce sont
les hommes et les femmes.
Hop là, que cet article, inspiré à outrance des écrits de Patrick Levy-Waitz , est sérieux. Il est grand temps
que je me replonge dans un San-Antonio et que je respire un peu d’oliban pour retrouver ma tête.
Remarque pour le management : le management relationnel est fondé sur la capacité à mobiliser
les collaborateurs dans l’intelligence collective, à négocier de manière permanente avec ses équipes
pour fédérer et favoriser la convergence, à donner et partager une vision commune pour donner du sens à son action. Autant de qualités requises si l’on veut réconcilier les cadres, capital humain de l’entreprise,
avec le contrat social mis à mal ces dernières années.